2006

16 voix et doudouk

Durée : 16 min
Texte en arménien de Kevork Temizian

Malgré son anche double, le timbre du doudouk semble plus proche de celui d’une flûte ney ou d’une clarinette que de celui de notre hautbois occidental. Il possède une très riche palette de couleurs selon la nuance, le jeu et selon sa taille ; car il existe six longueurs et tonalités différentes. Trois sont utilisée dans cette pièce.

Comment mêler cet instrument traditionnel multimillénaire, à un ensemble de seize voix ? Comment rendre cette rencontre fertile, non décorative, sans exotisme facile ? Sans non plus réduire l’étrangeté, la distance ? Laisser l’instrument être lui-même tout en modelant les points de rencontre, un jeu presque sensuel de frôlements, de dialogues…

Cette singularité – même s’il n’apparaît jamais comme soliste, au sens concertant du terme – le doudouk la porte dès son apparition dans l’œuvre, tirant des individus hors de la masse vocale, pour leur donner une voix, leur prêter quelques inflexions évocatrices. C’est lui encore qui reconstruira une couleur, une pensée musicale à partir de l’informe dans le centre de la pièce. Son écriture, qui intègre une part d’improvisation propre aux musiques traditionnelles, ambitionne un peu cette action démiurgique que le poème interroge : « Tes mots peuvent-ils… ».

Car le texte aussi nous parle de la diversité, du pluriel spatial et temporel, de tout ce qui sépare et disperse. Cette multiplicité, qui peut mener à l’éparpillement, au chaos, peut aussi construire une universalité, une rencontre humaine à travers la communauté des sentiments : « le globe terrestre, tel un cœur brûlant ». La langue arménienne est représentative de cette dialectique. Partout différente dans ses prononciations, ses nuances, ses accents et cependant garante de l’unité d’un peuple que l’histoire a « mille fois brisé, dispersé en tous lieux ». Si leur pouvoir créateur est enracinée dans la culture méditerranéenne, les mots ne peuvent rien sans notre participation affective au monde ; une empathie que la musique semble parfois porter plus que tout autre production humaine.

Philippe Gouttenoire

Les compositeurs