Durée : 16 minutes

Pour douze voix

Commandé par l’Etat pour le Groupe Vocal de France et dédié à Roland Hayrabedian, « Swan Song » est un ouvrage écrit pour douze voix solistes a cappella, et comprend quatre pièces. Chant du cygne – mais d’un cygne qui ne cesse de renaître de ses cendres – il est pensé par le compositeur comme une sorte de requiem ironique sur sa propre mort.

Deux pièces de caractère méditatif, intérieur, sur des textes en anglais écrits par Ohana lui-même, sont encadrées par deux incantations afro-cubaines pour conjurer le sort et éloigner la mort. DRONE, du nom de la basse en faux bourdon qui accompagne les voix aigües, sert d’introduction. L’incantation fait sonner les phonèmes, tantôt musclés, tantôt labiles, en formules répétitives tournant autour de quelques notes, qui dégagent une énergie tonique, communicative.

De la masse homogène du chœur, se dégage parfois une voix soliste ; les séquences, brèves, sont juxtaposées, s’opposant les unes aux autres par les dynamiques, les couleurs, les masses ou les vitesses.

En contraste total, ELEIS (abréviation allusive de « Kyrie Eleison ») est un négro-spiritual implorant, tendre et confiant, dont le texte use d’un anglais déformé, tel qu’il était parlé par les Noirs américains du début du XX° siècle. Ohana réinvente là un folklore imaginaire, comme le fit naguère Bela Bartok, à partir de l’essence du « spiritual » : harmonies pleines et riches, soutenant une mélodie souple, balancée, qui appellent une qualité de voix libre, charnelle ; alternance de voix solistes auxquelles répond le chœur; glissés légers, longues résonances d’accords profonds…

EPITAPHE, qui lui fait suite, est dans la même couleur, quoique dans un tout autre esprit. Le texte s’inspire du sonnet de Ronsard  « A son âme », dont il reprend le ton détaché, tendrement ironique. La distanciation que donne Ronsard à son poème par l’emploi de diminutifs

(« Amelette Ronsardelette

…très chère hôtesse de mon corps…

…tu descends là-bas faiblette

…dans le froid royaume des morts »)

trouve son équivalent distancié chez Ohana par l’emploi de la langue anglaise. Le texte, confié à une soliste, est récité tel une psalmodie (« égal, sans vibrer, sans expression » demande le compositeur), diversement colorée par les champs harmoniques changeants sur lesquels elle se pose. Aucun effet figuraliste, si ce n’est peut-être l’évocation allusive du « pâle clair de lune, bientôt évaporé dans les ténèbres », qui se répand de voix en voix dans tout l’espace sonore, tremble et se résorbe dans le silence ; ou le rayon lumineux de  « l’étoile qui jamais ne pâlit », seule échappée dans l’aigu de la voix de la soliste. Quant au définitif sommeil, comment l’évoquer mieux que par l’accord parfait qui le fige, aux toutes dernières mesures du chant, avec humour et nostalgie ?

Le rythme syncopé de MAMBO incantation en dialecte afro-cubain pour chasser la mort, se charge d’évacuer tout attendrissement. L’incantation est efficace, semble-t-il, puisque les derniers mots prononcés par le chœur sont « Viva Vida »…

 

                                                                       Christine PROST

Les compositeurs