Lucien Guérinel est né à Grasse en 1930. Il passe son enfance à Bizerte, en Tunisie, où ses parents s’établissent en 1932 et commence l’étude du piano à l’âge de huit ans. Il vient en France en 1949 et suit des études d’odontologie à Montpellier puis à Marseille. Il poursuit parallèlement son apprentissage de la musique dans le cadre d’une démarche personnelle, se perfectionnant au piano avec Yvonne Studer et étudiant l’harmonie avec l’organiste Marcel Prévot.

En 1954, titulaire d’un doctorat scientifique, il se fixe à Paris, exerce la profession de chirurgien-dentiste tout en recevant les conseils musicaux du chef d’orchestre André Jouve puis du compositeur Louis Saguer. En 1960, son état de santé le conduit dans un sanatorium de Briançon où il compose, commence à écrire de la poésie et découvre la peinture.

En 1962, Lucien Guérinel s’établit à Marseille et continue, dans le sud de la France, cette double vie artistique et médicale, passant de chirurgien-dentiste du domaine libéral au domaine public (jusqu’en 1992, date à laquelle il cesse son activité salariée). Ainsi, en 1968, sa première œuvre, Divertimento pour cordes, qui fait référence à Bartok, intéresse le chef d’orchestre Clément Zafini, qui la crée à la Société de musique de chambre de Marseille. En 1978, la Sacem lui décerne un prix régional pour À la nuit, créé par l’ensemble de cuivres d’Aquitaine dans le cadre de « Aix en musique » et la même année, Christian Tournel, chef d’orchestre, dirige la création des Quatre préludes pour petit ensemble, œuvre pédagogique, commande d’État. À l’occasion de la manifestation « Marseillissime », il reçoit, en 1987, le Phocéen d’Or de la création musicale, puis il est élu, en 1989, à l’Académie des Sciences, Lettres et Arts de Marseille.

Personnage discret, Lucien Guérinel préfère évoquer la musique plutôt que sa vie et son parcours. Son catalogue, riche de plus de cent quarante œuvres, aborde tous les genres : musique instrumentale, musique de chambre, cycles de mélodies, ensembles vocaux a cappella, choeurs accompagnés (Un semblant de lumière, 1995 ; Naissance de l’aube, 1999), deux opéras (Le mariage forcé, 1972, d’après Molière ; Tintagiles, 2015, d’après La mort de Tintagiles de Maurice Maeterlinck), une cantate (Les Sept portes pour double chœur mixte et cordes, 1997 ; Les sept dernières Paroles du Christ en croix pour solistes, choeur et ensemble instrumental, 2012), mais également musique pour orchestre (Col Canto, 1987 ; Shitao, 2004 ; Ylang-ylang, 2010) et pour la scène (Oedipe et Antigone, 1995 ; Hécube, 2004). Ses œuvres pour instrument seul lui permettent d’approfondir son écriture en relation avec l’interprète et d’élargir sa connaissance de la technique de l’instrument. Il écrit ainsi des œuvres pour l’orgue (Vêpres, 1999), le violon (Soleil ployé, 1971), l’alto (Voix, 1990), le violoncelle (En sa nuit close, 2006), la flûte, l’accordéon (Feux de rêve, 2009), mais aussi le piano, le cor, la clarinette-basse et l’euphonium. Et c’est en écrivant pour cet instrument qu’il est finaliste des concours de composition « Rendez-vous international du piano en Creuse » en 1990 avec Chants-Espaces et, en 1994, avec Songe, Mouvement.

Lucien Guérinel privilégie dans sa production la musique de chambre, avec une prédilection pour le quatuor à cordes (6 quatuors). Son second quatuor Strophe 21 obtient, en 1983, le second Prix du « Concours de composition pour quatuor à cordes » de la Fondation Philip Morris à Paris et est d’ailleurs le premier quatuor français à être joué en Chine populaire en 1987. Avec Prendre corps, son quatrième quatuor à cordes avec soprano et mezzo-soprano (1993), le public prend toute la mesure de son écriture entre dépouillement, rigueur et économie des moyens tant instrumentaux que vocaux.

D’une indépendance la plus totale vis-à-vis des chapelles, des tendances, des modes et des engouements, Lucien Guérinel n’en connaît pas moins les techniques vocales contemporaines. Il les met au service d’une rigueur poétique, d’un lyrisme épuré et d’une expression où se rencontrent, grâce à un sens inné chez lui des justes proportions, sobriété et intensité.

Dans des œuvres souvent d’inspiration poétique ou littéraire (Un oiseau s’est posé sur tes lèvres, 2013), il développe le parlé-chanté, un rythme des lignes sans cassure et fait preuve d’invention dans la scansion et la mise en valeur des mots. En quête de l’essentiel, de l’essence même des choses, il refuse le bavardage, l’anecdotique et s’exprime plus volontiers dans des formes courtes. Sa musique est caractérisée par la primauté donnée à la mélodie dans une expressivité intense, par l’importance des silences, par la force rythmique, par un sens des proportions et des couleurs chatoyantes.

Sa maîtrise des couleurs et des proportions se révèlent sans doute le mieux dans les œuvres inspirées par la peinture ou l’architecture, tel Le déjeuner de soleil pour violon, célesta et quatre percussionnistes (2003) d’après le tableau de Léonor Fini ou encore le cycle des vingt-quatre Préludes pour Nolde (1991) pour soprano, récitant, piano et bande magnétique, œuvre dont l’origine prend sa source dans la découverte des aquarelles d’Emil Nolde.

Humaniste, Lucien Guérinel est compositeur, créateur, mais aussi écrivain. Il collabore pendant vingt ans, en tant que critique musical, avec les quotidiens Le Méridional et La Provence ainsi qu’avec la revue culturelle trimestrielle Marseille. Il a également publié trois recueils de poèmes (La parole échouée, 1969, et La sentence nue, 1972, chez Guy Chambelland ; Acte de présence, 1997, aux Ateliers populaires de Paris, avec des lithographies de Jean Pons). Il a aussi écrit des textes d’accompagnement pour les photographies de Philippe le Bihan (Nuptiales, 2005 ; Un pas de plus, 2011) ainsi que deux livres d’entretiens (Le lac et le bosquet, 2006 ; Vents croisés, 2017).