Tout l’œuvre de Betsy Jolas tourne autour de la voix, que celle-ci soit présente ou seulement évoquée par les instruments. La voix chantée, bien sûr, mais plus encore cette voix singulière de la « Sprechmelodie » inventée par Schoenberg dans son Pierrot lunaire. Mais là où Schoenberg avait buté sur la difficulté pour le timbre parlé de restituer des hauteurs sonores précises, Betsy Jolas résout le problème en faisant « parler » les instruments eux-mêmes. Au point que si celle-ci estime que c’est la mélodie qui constitue sans doute son apport le plus significatif à la musique contemporaine, l’œuvre de Betsy Jolas ne renvoie pas tant à une « mélodie infinie » qu’à un récitatif infini qui tantôt tendrait vers l’arioso, tantôt vers un quasi parlando expressif. Cette voix cherche ainsi à retrouver, mais en les stylisant, les inflexions de la déclamation poétique ou dramatique.
Betsy Jolas est née à Paris en 1926 de parents d’origine américaine et lorraine. Sa mère, la traductrice Maria Jolas , avait fait des études de chant et continua à chanter toute sa vie. Son père, le poète et journaliste Eugène Jolas, fut le fondateur et éditeur de la revue « transition » où figurèrent en dix années les plus grands noms de la littérature, de la peinture et de la musique de l’entre-deux guerres (en particulier James Joyce, dont Finnegans Wake y fut publié en feuilleton sous le titre « Work in progress »).
Sa famille s’étant établie aux Etats-Unis en 1940, elle termine sa scolarité au Lycée français de New-York, avant d’entamer en 1945 des études à Bennington College, dont elle reçoit le diplôme de Bachelor of Arts l’année suivante. Parallèlement, elle chante dans les choeurs Dessof où elle est également accompagnatrice à l’orgue et au piano, découvrant le répertoire polyphonique de la Renaissance qui la marquera profondément. De retour à Paris en 1946, elle est élève au Conservatoire National notamment dans la classe de Darius Milhaud pour la composition et celle d’Olivier Messiaen pour l’analyse. Ses études terminées, elle travaille pour l’ORTF jusqu’en 1971 avant de remplacer Olivier Messiaen au Conservatoire de Paris, où elle est nommée professeur d’analyse en 1975 et de composition en 1978. Elle a également enseigné aux USA, notamment dans les Universités de Yale, Harvard, Berkeley, Los Angeles et San Diego, ainsi qu’à Mills College (chaire Darius Milhaud).
Lauréate du concours international de direction d’orchestre de Besançon dès 1953, Betsy Jolas a obtenu de nombreux prix tant en France qu’à l’étranger (Prix de la Fondation Copley de Chicago, de l’ORTF, de l’American Academy or Arts, de la Fondation Koussevitsky, Grand Prix national de la musique, Grand Prix de la Ville de Paris, de la Sacem, et plus récemment Prix international Maurice Ravel et le prix Sacem de la meilleure création). Membre de l’Académie américaine des arts et lettres depuis 1983, Betsy Jolas a été élevée au grade de commandeur de l’ordre des Arts et Lettres en 1985; désignée « personnalité de l’année » pour la France en 1992, elle a également été élue en 1995 membre de l’Académie américaine des arts et sciences (fondée en 1780).
Précocement confrontée par son milieu aux mots, à leur récitation, Betsy Jolas a tempéré par son attachement à la voix et au chant sa participation à l’aventure post-wébernienne de l’après-guerre. Liée dans les années soixante au Domaine musical de Pierre Boulez, elle fut davantage un « compagnon de route » du sérialisme -dont elle n’a jamais pu prendre à son compte le pointillisme sonore- qu’une adepte inconditionnelle. A l’inverse des musiciens de sa génération, elle n’a jamais prôné la « rupture » avec le passé, rupture juvénile qui a contraint plus tard ces mêmes musiciens à réapprendre les leçons du passé, sinon tout bonnement à se cultiver. Betsy Jolas se réclame au contraire fortement de l’héritage des grands compositeurs antérieurs à notre siècle, que ce soit Schumann, Mozart ou Monteverdi -mais toujours des musiciens ayant accordé une importance particulière à la voix.