2011

Pour huit voix,
piano à quatre mains, cymbalum, percussions

En huit mouvements

 Durée : 20 minutes

 

D’après Speculum alchimiae (Le Miroir d’alchimie) attribué à Roger Bacon (1214-1294)

Commande de l’Académie européenne de musique du Festival d’Aix-en-Provence

Maadann serait une sorte de liturgie du métal qui mettrait en scène huit voix – chaque chanteur incarnant une personnalité minérale -, et des instruments, lieux de transformation.
Une procession chemine du fer au mercure. De degré en degré, la transmutation se produit dans le mystère musical.
L’italien chanté ressemble à une autre langue. On songe à l’arabe, au berceau de l’imaginaire alchimique. 
La façon d’étirer la voix, de jouer de l’élasticité même du chant, de sa densité, fait disparaître la prosodie et dépayse la langue.

Chaque métal possède sa matière sonore, son temps, son énergie et son mouvement propre.
1. Le fer, métal dur, est solitaire.
2. Le cuivre représente la beauté et la douceur.
3. Le plomb est la source de toute spiritualité, lieu du devenir.
4. L’étain, le symbole de la justice et de la hiérarchie.
5. L’argent est l’image de la lune, vive et scintillante. Il incarne le féminin, la transparence, l’âme et ses mondes intérieurs.
6. L’or est la perfection, la lumière, le principe masculin qui pourtant, par un retour vers soi et un pèlerinage dans la solitude, rejoint le fer, son exact contraire dans un intime lamento.
7. Le mercure est ici duo, métal double et fuyant. Associé au soufre, il engendre tous les métaux …
8. Dans le dernier mouvement, en tutti, tous les corps retrouvent une forme de communion originelle, redeviennent une seule substance, première et saturée.

Ici le traitement musical rejoint l’idée maîtresse de Roger Bacon, l’unité essentielle de la matière. Zad Moultaka aborde et expérimente à sa manière la matière sensible, une des trois espèces distinguées par le philosophe pour qui la raison ne peut se passer de la confirmation expérimentale. 
Contemporain d’Albert le Grand, Roger Bacon est supposé avoir inventé les lentilles, les lunettes, des petites machines volantes, un chariot autopropulsé par ressorts, de nombreux automates, dont un pigeon pouvant voler, une tête d’acier capable de prononcer des sons articulés et de répondre aux questions. 
Accusé de magie, celui qui cherchait inlassablement à fonder la vérité rationnelle, fut l’objet de la censure puis emprisonné pour “nouveautés suspectes”.
Mais son apport est réellement essentiel dans la réorganisation du savoir au XIIIe siècle, l’élaboration de la méthode scientifique moderne et la philosophie du langage.

Le compositeur emprunte la description des métaux au chapitre II du Miroir d’Alchimie, Des principes naturels et de la génération des métaux, « Notez d’abord que les principes des métaux sont le Mercure et le Soufre. Ces deux principes ont donné naissance à tous les métaux et à tous les minéraux, dont il existe pourtant un grand nombre d’espèces différentes. Je dis de plus que la nature a toujours eu pour but et s’efforce sans cesse d’arriver à la perfection, à l’or. Mais par suite de divers accidents qui entravent sa marche, naissent les variétés métalliques, ainsi qu’il est clairement exposé chez plusieurs philosophes.”

Mystique expérimentale, l’alchimie recherche l’absolu et propose à l’homme de triompher du temps ; Maadann explore précisément cette dimension et interroge le rapport démiurgique de l’homme à la nature, renvoyant au danger de jouer avec ses lois. Roger Bacon nous avait prévenus : “Malheur à vous qui voulez surpasser la nature…”

Catherine Peillon

Les compositeurs