2015

Création au festival d’Aix-en-Provence 2015

Les Saisons/ Horae quidem cedunt… est une tentative de faire coexister dans un même mouvement le film d’Artavazd Péléchian et une musique qui se déploie comme son double vis-à-vis, en amont et en aval, tel un écrin dissymétrique conçu en miroir et en contrepoint ombré.

Les trois volets de cette coexistence sont donc : musique – film – musique.

 Le premier transpose en musique quelques procédés cinématographiques à l’œuvre dans « Les Saisons », comme le célèbre montage à distance. La musique reprend aussi la structure du film qu’elle réarticule dans l’ordre inverse, un peu comme la caméra de Péléchian qui balaie un troupeau en sens contraire de son mouvement, ce qui donne le vertige.

Textes sources pour cette partie, les Géorgiques de Virgile chantés en latin et en français offrent des résonnances amplifiées des images archétypales du film.

Ainsi, la scène où le marié et la bête tentent de surnager dans les eaux tumultueuses du torrent fait écho à l’amoureux virgilien qui fend les flots à la nage, à travers la tempête déchaînée ; celle de la veillée aux torches enflammées correspond à la description latine de l’action quadruple du feu sur la terre qui livre son suc caché, expurge ses virus, s’ouvre pour recevoir la semence ou se ferme pour ne pas subir les pluies qui la ravinent.

Quelques textes poétiques conçus par Philippe Mahaud fonctionnent comme une passerelle entre les Géorgiques et le film dont son analyse détaillée a servi pour la structure de la première partie de Horae…

Avec le troisième volet s’ouvre une perspective nouvelle, déjà amorcée dans la première partie : celle du devenir. Mais il s’agit ici d’un devenir plus inquiet qui veut se poser en contrepoint marqué avec le film, notamment par le recours aux thèmes que celui-ci évite soigneusement.

Au cycle inexorable des saisons filmé en spirale qui affirme cette « volonté de négation de toute forme de clôture » (P.Arbus) par Péléchian se rajoute donc une interrogation sur la clôture justement, et sur la disparition définitive d’un monde et d’un temps, du cycle naturellement rythmé d’une civilisation qui ne reviendra pas, et – dans le contexte de la future conférence mondiale sur le climat !-  de la ronde des saisons qui emprunte une cadence de plus en plus troublée face au défi du dérèglement climatique.

Trois types de textes interviennent ici, qui partent du devenir du projet de Péléchian lui-même. Le réalisateur avait mentionné dans une interview qu’il concevait tous ses court-métrages comme des travaux préparatoires à une vaste fresque qui s’articulerait autour de la Genèse biblique…

C’est le texte mis en musique ici, mais aussi mis en perspective par le livre de Job, et l’impressionnante finale du troisième livre de Géorgiques où la mort animale, thème unique, prend des allures d’une catastrophe cosmique.

Ainsi, la Genèse chante la création à l’échelle universelle, tandis Job déplore la dé-création à l’échelle individuelle, en reprenant les termes mêmes de Genèse 1 : Dieu appela la lumière jour / Job dit : Périsse le jour où je suis né ! Dieu dit : Que la lumière soit ! / Ce jour-là, que la ténèbre soit !

Il ne s’agit pas, pour la fin, de fixer l’abîme trop longtemps, car il finirait alors par regarder en nous… Au contraire, c’est au bord de l’abîme que l’on aperçoit la lumière que « Les Saisons »  et les textes sollicités ont entrevue, et que l’on peut tenter de saisir à nouveau par cet élan combiné : pénétrer les Arcana Naturae –  mystère de ce qui est – par une démarche dans laquelle la poésie devient science ; se libérer du temps en transfigurant le moment présent en éternité, procédé magnifié par Péléchian ; tenter de dire l’espoir à partir de la pure nudité de l’homme, et grâce à la lucidité permise par  cette phrase de Cicéron à qui emprunte le titre de l’oeuvre : Certes, les heures/les saisons disparaissent…

Les compositeurs