Pour trio à cordes et 12 voix.
Durée : 30 minutes
Commande de Musicatreize dans le cadre de son cycle de création « Les Tentations » avec le soutien de la Sacem.
Ce n’est pas l’attrait pour une noirceur emplie de poncifs qui m’inspire l’envie de travailler sur des textes liés à la sorcellerie ; c’est la créativité littéraire et poétique, et l’imaginaire surprenant qui se libèrent ici de façon inouïe – par exemple dans les prières de guérison ou dans les formules de certains rituels verbaux traditionnels. Bien que ces derniers aient parfois été dotés du pouvoir de mettre en contact avec des réalités d’un ordre différent, ils n’ont rien en eux-mêmes de diabolique.
J’ai aussi une prédilection pour l’imagination populaire – issue de traditions régionales par exemple – qui ré-élabore et remanie avec une étonnante liberté les formes imposées par les institutions officielles. C’est ainsi qu’à l’occasion d’un concert-spectacle pour enfants, L’album de l’oiseau qui parlait, j’avais rencontré la langue et l’inventivité des traditions occitanes sur le thème de la parole prêtée aux oiseaux. Il n’y a cependant chez moi aucun folklorisme. Au contraire, je redoute l’idéologie patrimoniale et condescendante qui préside aux folklorisations de tous ordres.
J’essaie donc de m’approcher le plus loyalement possible des sources, grâce à des travaux d’ethnologues et d’historiens : Jeanne Favret-Saada, dont les livres sur la sorcellerie dans le Bocage vendéen à la fin des années 70 sont bouleversants ; l’Association Serest qui travaille depuis longtemps sur les traditions des régions d’Auvergne ; l’historien italien Carlo Ginzburg. Je m’inspire aussi de sources directes : recueils de textes anciens et grimoires.
Je veux ainsi m’approcher, en tant que compositeur, des aspects divers de ce domaine très riche.
Ce qui m’émeut particulièrement dans la Sorcière – que j’ose, en m’autorisant de Michelet et de Duras, ériger en figure mythique, pour les raisons exposées ci-dessus : il s’agit ici d’élaboration artistique et d’imagination – c’est que sa parole est différente parce que son écoute est différente : écoute de la nature, des oiseaux, des animaux. Le mystère naît de son attention aux signes qu’il lui faut, au sens fort, deviner : interpréter, recréer, comprendre, en sachant bien que ces actes-là comportent une part d’inconnu, de danger peut-être.
Tentations de la Sorcière, vacillant à la frontière de deux mondes.
Mais aussi tentation de la société d’exclure et de persécuter son au-delà et son autre en la personne de cette passeuse de forces.
Dans La Célestine, Maurice Ohana montre de manière éclatante qu’à côté du pouvoir officiel et de la religion du Père demeure un savoir immémorial, païen. Célestine, cœur caché de la communauté, prêtresse tragi-comique d’une matrice qui régule le cycle humain : mort et amour. Et la société qui persécute et refoule ce savoir se condamne au dessèchement hideux des colonialismes, des intégrismes : « L’or, vive l’or ! Or ! Perroquets ! », bégaye le chœur à la fin de l’opéra.
J’ai choisi de m’inspirer de l’effectif de Stream (voix et trio à cordes) pour imaginer Déméture sur déméture.
Jean-Christophe Marti
Février 2002