1991
Cette œuvre fut conçue lors des trois voyages d’études qu’effectua le compositeur au sein de la communauté éthiopienne orthodoxe du monastère de Däbrä-Gänät (monastère du Paradis) à Jérusalem entre 1989 et 1990. Elle peut être envisagée comme une sorte de madrigal dont les structures musicales s’inspirent davantage de certaines formes musicales existant en Afrique de l’Est et notamment en Ethiopie que des modèles formels occidentaux.
Comprenant quatre grandes sections, Asmarâ commence par un « appel » de caractère incantatoire confié aux voix féminines. Les alti chantent une note fortement polarisée sur la note la bémol. Les autres voix évoluent par parallélismes de quartes, tierces et secondes créant une diaphonie, principe d’évolution des voix assez fréquent dans certaines polyphonies occidentales. La suite de cette première section met en valeur une écriture différente, basée sur le chant responsorial préfigurant le caractère principal de la section suivante. Sur un fond polyphonique confié à quelques chanteurs, un ou plusieurs solistes introduisent dans le discours musical un élément nouveau qui produit progressivement des modifications par tuilage à l’intérieur de la polyphonie. Ce tuilage incessant agit sur le déroulement musical comme une « lame de fond ».
Dans la seconde section, il est important de remarquer à quel point l’indépendance mélodique des différentes parties, que ce soit la psalmodie chantée par le ténor soliste (thème déjà présent au début de Debout sur le Soleil), la reprise de celle-ci par un ensemble de voix d’hommes sans qu’il y ait pour autant de synchronisation entre eux, ou les mélismes des voix féminines, produit un sentiment d’espace à l’intérieur d’une texture chatoyante et colorée.
La troisième section est caractérisée par un climat plus retenu mais néanmoins soutenu. La quatrième section est conçue comme un Edho, polyphonie remarquable et fort complexe caractéristique des Dorzé, ethnie originaire ducentre-sud de l’Ethiopie. Un quintette de solistes concerte avec un double-chœur, celui-ci répétant strophiquement un seul et même texte, toujours court. Le diapason n’est pas fixe, il ne cesse de s’élever progressivement jusqu’à la quinte supérieure conférant à tout ce passage une intensité et une densité croissante brusquement interrompue par un silence. La coda joue sur de brefs rappels de la première section et, par la subtilité de l’écriture vocale, Asmarâ se termine, comme d’autres œuvres de Jean-Louis Florentz, en « s’éloignant » peu à peu.
Jean-Pierre Cholleton