2019
Pour 12 voix et violon
Acqua di mare amaro est la mise en scène d’un paysage à la fois réel et mythique, provoquant des sensations immédiates et évoquant en même temps un imaginaire hautement poétique : le port de mer. Ce lieu, multiforme et varié, qui sent le goudron, la suie, le poisson, la salure, qui résonne de grincements de chaînes, sirènes de bateaux, clapotages de vagues, hurlements et rigolades, dont les ruelles sont habitées par les pêcheurs, les voleurs et les prostituées, a inspiré une multitude d’écrivains (pensons à Homère, Melville, Verne, Conrad, Poe, Baudelaire, Cocteau, Genet, Morante entre autres).
Pour mon projet je me suis basé sur la poésie visionnaire de Dino Campana, artiste né à la fin du XIXe siècle dans un petit village de Toscane et ayant alterné dans sa vie de longs voyages et des permanences forcées au sein d’hôpitaux psychiatriques. Il nous a laissé une seule œuvre, Canti orfici, sorte de journal de bord d’une existence vécue sous le signe du vagabondage et du dérèglement.
Mais malgré sa folie présumée, sa recherche poétique a été extrêmement lucide et focalisée : c’est la mer le lieu d’évasion de ses souffrances, et le port l’ambiance ambiguë et polyvalente où saleté et poésie, pourriture et amour, violence et tendresse, amour et mort, infime et infini se croisent de manière féconde générant des dynamiques tragiques.
Les textes de Campana, riches d’images et d’artifices rhétoriques subtils tels que l’anastrophe, la paronomase, le chiasme et la catachrèse, sont fortement madrigalistes. Ma musique, loin d’une quelconque intention descriptive, surgit très naturellement du matériel phonétique des poèmes, matériel qui synthétise le sens plus intime des paroles. Le but ultime est une sorte de court-circuit son-signifié (tel que l’onomatopée), propre aux plus anciens archétypes de communication.
Luca Antignani