Jamais société n’a accordé tant de place à la musique que la nôtre. Les media audio-visuels et les moyens de reproduction se multiplient et se perfectionnent sans cesse. Pas un lieu n’y échappe et, comme « les oreilles n’ont pas de paupières », nous sommes constamment, et sans le vouloir, environnés de musique, presque aussi omniprésente que l’air que nous respirons. Mais qu’en est-il de notre faculté d’écoute ? Sommes nous toujours capables d’écouter – c’est-à-dire de concentrer toute notre attention à un discours musical construit et qui suppose d’être suivi attentivement – après ce brassage de nos oreilles (et de notre cerveau) que nous impose un environnement musical permanent présenté, au même titre que la climatisation, comme un raffinement supplémentaire de nos lieux publics ? Que signifie cette hantise du silence qui semble caractériser notre société ?  Que se passerait-il donc si tout à coup la musique du restaurant ou du super marché s’arrêtait, ne serait-ce qu’un instant ? Est-il à ce point devenu inconcevable de faire ses courses, de boire un café ou de prendre un ascenseur en silence ? Serions-nous alors plongés dans une angoisse mortelle ? Nous mettrions-nous à penser ? Que s’agit-il enfin de cacher ainsi par cet incessant vacarme ?

Mais la musique a toujours bonne presse (elle adoucit les mœurs, parait-il) et il est totalement iconoclaste, inconvenant même, d’en contester le rôle bénéfique, toujours et en tous lieux.

Il est cependant à craindre que cette abondance – abrutissante à force – nuise au contraire à une capacité d’écoute véritable (voire même à nos facultés intellectuelles ?), conditionnés comme nous le sommes par le caractère exclusivement tonal de l’unique forme de musique (chansons, variété) véhiculée par ce flot continuel. A tel point que bien des jeunes – désespérément agrippés à leur baladeur – ignorent même qu’il peut en exister une autre, tout morceau de musique étant appelé « chanson » !

Car le paradoxe est que la musique a précisément besoin de silence pour naître. Disons même  que le silence est la condition de son existence. Pas un silence sacré, pur et exempt de tout bruit (le bruit fait partie de la vie et perturbe peu la musique). Non, seulement un peu d’absence de musique. Ce n’est pas la même chose. De quoi aérer notre cerveau et le rendre à nouveau disponible.

Patrick Marcland

Les compositeurs