2000

Pour 6 violoncelles et 6 voix

C’est à l’occasion des treize ans de Musicatreize qu’est né le projet de cette pièce pour six voix et six violoncelles. Il s’agissait de trouver une formation pour voix et instruments comptabilisant treize personnes avec le chef.

Depuis longtemps, j’avais envie d’écrire pour voix et violoncelle, à cause du timbre et de la similitude de tessiture.

La Russie est la thématique de l’Ensemble de violoncelles de Beauvais pour leur 7e Rencontre, d’où le choix de Marina Tsvetaeva, poétesse russe morte en 1941.

Exilée pendant 17 ans, elle décide de revenir en Russie en 1939, en plein régime stalinien. Son mari et sa fille sont arrêtés, elle erre de chambre en chambre avec son fils, fait des traductions pour survivre, et finit par se donner la mort le 31 août 1941 dans un acte de total désespoir.

Comme avec d’autres poètes qui jalonnent mes œuvres, la rencontre avec Marina Tsvetaeva a été importante. Ainsi que chez Emily Dickinson, sa poésie est une poésie de l’urgence, de l’essentiel, un « métier sacré », comme elle aimait à le dire. Son œuvre émane d’une nécessité, et c’est en partie ce qui a déterminé mon choix. C’est aussi ce qui a tissé un lien essentiel avec elle.

Sans bien m’en rendre compte, ce rapport musique/poésie est devenu quasi essentiel dans mes œuvres. (Avant de composer, j’ai écrit moi-même des poèmes, très tôt, jusqu’à ce que je découvre l’univers des sons.) Cette interaction entre musique et poésie se manifeste comme une exaltation de l’un et de l’autre : le mot cristallise l’image, la musique prolonge et développe cette image. Le mot s’arrête là où la musique commence, mais le poème porte en lui tout le contenu essentiel nécessaire à la musique. Car il m’est important que la musique se nourrisse d’autre chose que d’elle-même (certains vivent cette expérience avec la peinture, par exemple). Cette relation entre diverses formes d’expression est capitale, car elle stimule l’imaginaire et rejoint les grands archétypes de l’inconscient collectif.

Pour revenir à Exil, j’ai choisi chez Marina Tsvetaeva des extraits de poèmes retraçant son parcours et portant sur la condition du poète, dont les principales caractéristiques sont l’exil, l’incontournable « vocation » (« Ô, vocation comme un fouet »), l’enfermement (« en soi, comme en prison ») pour finir par ce cri : « Que faire, moi l’illimitée, là où tout se mesure ? ».

Reste le problème de la langue : j’ai dû travailler sur une traduction phonétique, heureusement réalisée et enregistrée par un ami d’origine russe. J’ai découvert alors la richesse des phonèmes, âpres, rugueux, mais extraordinairement musicaux.

Enfin, pour l’anecdote, la création de cette pièce a été fixée le 13 mai 2000, à cause d’un poème écrit par Marina Tsvetaeva le 13 mai 1913.

Edith Canat de Chizy

Les compositeurs