2002
Clavecin, percussions et 12 voix.
sur un poème de Charles Baudelaire : « L’irrémédiable » (Les Fleurs du mal).
Commande de la Fondation Marcelle et Robert de Lacour à l’initiative de Musicatreize dans le cadre de son cycle de commande « Les Tentations ».
Création le 19 septembre 2002 au Festival de Besançon.
Quand Roland Hayrabedian m’a proposé d’écrire une pièce sur le thème de la tentation, j’ai commencé par une longue interrogation sur la signification de ce terme. Il m’a d’abord fallu me distancier de la connotation judéo-chrétienne du mot (« et ne nos inducas in tentationem ») et de la culpabilité qui l’entoure. Peu à peu s’est dégagé ce qui m’a paru être son essence : la fascination, état passionnel par excellence, bien loin de cette pauvre petite gourmandise à laquelle on a réduit bien souvent la tentation.
J’ai alors trouvé dans ce texte de Baudelaire l’expression la plus radicale de cette fascination, celle du Mal avec un grand « M », comme il l’écrit dans ce poème, « L’Irrémédiable ». Un long poème disséquant la descente aux enfers de cet Ange « qu’a tenté l’amour du difforme ».
La difficulté de mettre un tel texte en musique est grande. Difficulté du sens, ici extrêmement prégnant, celle du français, pauvre en phonèmes, celle de la prosodie. A une certaine époque, pas si lointaine, ces difficultés étaient résumées par une question : texte et/ou musique, sens et/ou musique. Or, c’est précisément cette dialectique que j’ai tenté de dépasser, par quelque chose qui est de l’ordre de la fascination.
Plus concrètement, j’ai joué avec la sonorité des mots, les mots percutants, les mots fluides, ceux induisant la répétition. L’œuvre est parcourue « d’ostinatos » rythmiques ou mélodiques, essayant de traduire « l’irrémédiable ».
Le poème étant en octosyllabes, je me suis trouvé confrontée à la difficulté d’utiliser les mots à quatre syllabes, nombreux dans ce poème. La question est de savoir si l’on respecte la prosodie ou non. Pour ma part, je préfère la détourner pour laisser place à la musique. Ces mots ont donc été le plus souvent traités comme des objets sonores, plus que comme des signifiants. Sans oublier cette mystérieuse alchimie qui, en fin de compte, restitue le sens et l’essence du poème qui renaît en quelque sorte dans ce prolongement que lui donne l’œuvre musicale.
Enfin, quelques mots sur la formation (douze voix, clavecin et percussion) qui m’a été proposée pour correspondre à celle du « Miroir de Célestine » de Maurice Ohana, donné dans ce même concert du Festival de Besançon. Il se trouve que le « Miroir de Célestine » exprime aussi une fascination, celle du sortilège, et que ce titre fait écho à ces vers du poème de Baudelaire :
« Tête à tête sombre et limpide
Qu’un cœur devenu son miroir ».
Edith Canat de Chizy