2019
Pour 8 voix et clarinette
Durée : 9 minutes
Création au festival Présences de Radio France le 17 février 2019
Commande de Musicatreize et de Radio France
La collaboration avec l’Ensemble Musicatreize représente, pour moi, un formidable terrain d’expérimentation me conduisant à penser des situations nouvelles d’écoute de la voix.
Dans « Blessure », puisque le poème propose, sans narration aucune et donc sans événements, le déploiement d’une passion, depuis la blessure existentielle originelle jusqu’à celle qui tient au refroidissement de l’intérêt amoureux, le projet musical a été de faire disparaître les lignes vocales au profit d’un espace sonore animé par des plans et des textures sonores qui évoluent sur un modèle de croissement : le système de Lindenmayer (L-System). Par ce procédé, je crée des états successifs d’émergence et de fluctuation globaux. L’entité individuelle de chaque chanteur peut s’effacer alors pour faire apparaître une écriture de groupe.
Le son prend donc une dimension plastique et corporelle avec l’évolution de textures par leur grain, leur couleur, leur enveloppe rythmique. Entre ces groupes que les onomatopées et les brouillages par des sons-voyelles ou nasales colorent, s’insère une parole semi-parlée qui met à nu les phrases du poème. La clarinette les commente et fait surgir des jaillissements, tel le fil tranchant qui lacère la matière.
A la strophe 4, où le déferlement symbolique de la mer, tout à la fois submerge l’expérience et oblige à la traverser, j’ai voulu que le processus de déploiement des textures aille à son terme. J’introduis un élément nouveau (Le corps toujours le corps plus loin que le corps plus que le corps) qui souligne cette tension croissante en exacerbant par une prosodie haletante et répétitive la dualité du rapport entre le corps et la mer. Cette tension se résout provisoirement, l’un prend le dessus et l’autre disparaît.
A la fin de l’œuvre, (Et l’on ne savait pas que la rose était fidèle), le tumulte s’assagit pour laisser place à la résolution finale. Se rejoignant enfin, les voix se transforment en une étrange tribune, d’où s’égrènent encore et encore les dernières circonvolutions du son textural.
Vincent Trollet